Il faut lire Philippe Muray

«Il n’existe pas de grand roman dont un recueil d’aphorismes éblouissants ne pourrait être automatiquement, instantanément tiré.»

«Le roman est l’histoire des forces qui tentent de l’étouffer. Le roman s’alimente de ce qui s’oppose à la littérature, et ce n’est pas un hasard si, dans ce fatras d’hostilités qu’un écrivain est amené à intégrer à son art, on trouve presque toujours des épaves de la mauvaise littérature de son temps. L’ambition de la littérature est de tout dévorer, tout verbaliser, ne rien laisser en dehors d’elle-même. Le «problème» du roman, s’il y en a un, consiste à subordonner à son discours la multiplication des phénomènes, la dispersion des événements et des informations, «tous les feuillets épars de l’univers» comme aurait dit Dante, et traiter l’ensemble dans un style adapté aux mutations de l’instant, et contre ces mutations, et contre cet instant.»

«Le pouvoir presque invisible des médias, par le fait même qu’il exprime l’intérêt général, est parvenu à ôter à la plupart jusqu’à l’envie, jusqu’à l’idée de seulement juger par soi-même. Qui oserait remettre en question la nouvelle union sacrée? Qui, hormis un romancier, une fois encore, s’il s’en trouve un pour se dévouer?»

«L’ère des bons sentiments, où quiconque osera émettre une opinion discordante, non alignée, pas aux normes hygiéniques et idylliques, se retrouvera en état d’accusé au nom de l’intérêt général.»

«Si on voulait la moralité, de même:suppression du génie» (Nietzsche)

«Les neuf dixièmes des événements, en réalité, sont ressassés désormais si longtemps à l’avance, si rabâchés et recommentés, que lorsqu’ils on lieu enfin, ils sont à peine présentables tellement ils ont servi avant d’exister.»

«Un corps féminin qui s’exhibe est toujours plus ou moins, pour le spectateur, la réfutation en action de l’espace qui l’entoure.»

«Il devient facile de reconnaître un écrivain conformiste: c’est celui, tout simplement, qui se flatte le plus haut et le plus fort d’être politiquement incorrect.»

«Dans l’impuissance de vivre pleinement l’effectivité de sa peine, l’être contemporain se retrouve dans la position de l’hystérique. Il n’a accès à la réalité de sa douleur que par l’intermédiaire d’une globalisation de son cas.»

«L’actualité quotidienne est devenue, pour une bonne part, le roman vrai des conquêtes de la Loi et des enthousiasmes qu’elle suscite.»

«La libido est veuve, désormais, des formes érotiques classiques qui l’investissaient.»

«C’est l’homme de génie que je veux dans l’écrivain, quels que puissent être ses moeurs et son caractère, parce que ce n’est pas avec lui que je veux vivre, mais avec ses ouvrages, et je n’ai besoin que de vérité dans ce qu’il me fournit; le reste est pour la société et il y a longtemps que l’on sait que l’homme de société est rarement un bon écrivain.» (Sade)

«Désormais, nous savons que les génies d’autrefois sont comme les fumeurs d’aujourd’hui: des individus à risque et surtout pour les autres. Il s’agit donc de les isoler. De désencombrer de leur présence notre camp scout.»

«Refuser de s’occuper de se maladies est devenu une insulte à la communauté.»

«L’art des artistes doit un jour disparaître, entièrement absorbé dans le besoin de fête des hommes: l’artiste retiré à l’écart et exposant ses oeuvres aura disparu.» (Nietzsche)

«Il existe la même différence entre la culture et l’art qu’entre la procréation et le sexe, entre l’instinct de survie anonyme de la collectivité humaine et cette négation rayonnante de toute collectivité que représente un acte érotique isolé en coulisses.»

«La télévision est le plus court chemin d’une image à une loi.»

«Les Programmateurs du monde de demain s’engagent dans l’hyperfestif en prenant la route de l’hyperfictif.»

«La coalition du Bien et de la Culture a tari les dernières sources de l’énergie, c’est-à-dire de la contradiction. D’imbéciles impératifs « d’honneteté» ou «d’authenticité», qui ne sont que le jargon dans lequel se parle de nouveau totalitarisme informe, informatique et infantomaniaque, se présentent comme le comble d’une modernité à laquelle il serait hors de question de se dérober: ils ne sont que les commandements de la nouvelle religion, cet ahurissant intégrisme de l’enfance absolue qui a supplanté toutes les divinités abattues au fil des siècles, et qui dresse les seules idoles possibles de l’âge post-historique.»

«On ne peut penser clairement que ce qui tente de vous rejeter ou de vous dénoncer.»